Le Tanuki, esprit farceur japonais


Alors que nous avons célébré hier la Journée internationale des forêts, je me suis dit que c’était le moment parfait pour vous parler du tanuki. 

Peut-être l’avez-vous déjà croisé dans les œuvres colorées du Studio Ghibli ou dans les aventures palpitantes de Mario. Avec son visage malicieux et ses pouvoirs insolites, ce petit animal dépasse largement le cadre d’une simple légende du folklore japonais. Préparez-vous à plonger dans son univers captivant !

Présentation

Dans le folklore japonais, le tanuki occupe une place de choix, émergeant notamment au sein des récits de yōkai (妖怪). Ce terme, signifiant esprit, ou encore fantôme, est utilisé pour désigner des entités dotées de pouvoirs surnaturels dites « étranges ». Celles-ci peuvent revêtir diverses formes, telles que des objets (inanimés ou animés), des humanoïdes, des êtres zoomorphes, ou même sans réelle forme discernable. Comme dans toute superstition qui se respecte, certains yōkai sont de mauvais présages, tandis que d’autres apportent la bonne fortune.

C’est ainsi que, parmi ces yōkais, nous retrouvons le tanuki, également reconnu comme un esprit et gardien de la forêt, pourvu de testicules démesurées et de pouvoirs magiques. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, attardons-nous sur l’aspect physique de cette créature, aussi mignonne que surprenante.

Chien viverrin (Nyctereutes procyonoides) dans le parc sauvage de Bad Mergentheim en Allemagne
Triplec85, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Contrairement à ce que l’on imagine, le tanuki ne tire pas son apparence du raton laveur, mais du chien viverrin, de son nom scientifique de Nyctereutes procyonoides. Cette espèce fait partie de la famille des canidés, et est originaire de l’Asie de l’Est. Les tanukis ont également été introduits en Europe de l’Est et en Eurasie, et sont particulièrement présents dans la région Baltique et celle de l’Extrême-Orient russe. Dans ces régions, ils sont simplement appelés chiens viverrins, tandis qu’au Japon, ils sont iconiquement connus sous le nom de tanuki, évoquant son association au folklore.

Petit point culture : le chien viverrin est le seul canidé à posséder un masque facial sombre, d’où la confusion avec le raton laveur. Cependant, ce qui les distingue est principalement la queue : de couleur unie chez le canidé, et annelée chez le procyonidé.

Petite statuette de tanuki en céramique à Ashikaga, préfecture de Tochigi. Avec son chapeau de paille, ses grands yeux ronds, sa gourde de saké, son feuillet, son gros ventre, ses grosses testicules et sa bipédie.
Petite statuette de tanuki en céramique à Ashikaga, préfecture de Tochigi. Avec son chapeau de paille, ses grands yeux ronds, sa gourde de saké, son feuillet, son gros ventre, ses grosses testicules et sa bipédie.
John Hill, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Au Japon, les statues de tanuki sont omniprésentes, servant de décoration dans les maisons et ornant très souvent les devantures des magasins, bars et restaurants. Elles incarnent la fertilité et sont porteuses de chance et de prospérité. Chaque tanuki est associé à huit symboles traditionnels de bonne fortune :

  • Un chapeau, symbole de protection contre les ennuis et les intempéries.
  • De grands yeux, représentant la clairvoyance et la capacité à prendre de bonnes décisions.
  • Une bouteille de saké portant le caractère 八 (hachi), signifiant « huit », symbolisant la vertu.
  • Une grande queue, illustrant la fermeté et la persévérance vers le succès.
  • Un scrotum surdimensionné, emblème de la bonne fortune financière.
  • Une reconnaissance de dette, symbole de confiance et d’honnêteté.
  • Un gros ventre, représentant la détermination audacieuse et le calme.
  • Un sourire amical, reflétant la convivialité et la bienveillance.

Faisons un petit arrêt sur l’un de ces traits, qui vous a peut-être surpris si le tanuki ne vous est pas familier. En effet, le scrotum démesuré se trouve être un attribut propre aux tanukis. Plus particulièrement, la grande malléabilité de cette partie de leur corps en fait l’un des aspects distinctifs de cette créature. Il est même dit qu’ils peuvent l’étendre jusqu’à la taille de huit tatamis (environ douze mètres carrés). Ce qui leur permet de transformer leurs scrotums en tout ce dont ils peuvent avoir besoin, du parapluie au bateau, en passant par le tambour. Cette capacité déconcertante trouverait son origine dans le travail des orfèvres de la préfecture de Kanagawa. La peau de l’animal était utilisée pour envelopper l’or lorsqu’il était transformé en fines feuilles. Cette dernière étant souple et résistante, elle permettait de marteler l’or le plus finement possible. C’est pourquoi leurs scrotums étaient familièrement appelés kinbukuro (sacs d’or) ou kintama (boules d’or).

Ce n’est pas tout, le tanuki est reconnu dans la mythologie japonaise pour ses pouvoirs magiques, notamment sa compétence exceptionnelle de métamorphose. Ce pouvoir lui permet de changer d’apparence à volonté, prenant la forme d’autres animaux, d’objets inanimés ou même d’humains. Cette métamorphose est souvent utilisée par le tanuki pour tromper les humains, semer la confusion ou jouer des tours espiègles. De telles caractéristiques correspondent à la notion de « farceur », un archétype présent dans de nombreuses mythologies à travers le monde. Il est possible de citer Loki dans la mythologie nordique, les farfadets chez les celtes, ou encore Coyote dans le folklore amérindien. Pour aller encore plus loin, l’archétype du farceur est décrit par le psychiatre et psychanalyste Carl Jung comme un motif universellement présent dans l’inconscient collectif. Il représente l’aspect de nous-mêmes qui aime jouer des tours, défier les conventions et repousser les limites, symbolisant à la fois le désordre et la créativité. Ainsi, selon Jung, divers archétypes comme celui du farceur se retrouvent fréquemment dans les mythes et légendes du monde entier, afin de refléter notre nature commune et nos expériences partagées.

Cependant, le tanuki n’est pas le seul farceur canin connu au Japon. Le kitsune, un esprit de renard, est également très célèbre. Tout comme son homologue masqué, il utilise la métamorphose et d’autres illusions pour duper les humains. Le kitsune possède aussi d’autres pouvoirs, tels que la capacité à produire des boules de feu appelées kitsunebi (traduit par feu de renard), et est même capable de posséder des humains. Tandis que le tanuki incarne la malice et la ruse, le kitsune est considéré comme un être très puissant, sa force étant représentée par le nombre de queues qu’il possède.

Les Origines

Plongeons désormais dans les origines de cette créature masquée. Pour cela, il est utile de citer le travail de Willem Marinus de Visser, sinologue et japonologue néerlandais. Son ouvrage, The Fox and the Badger in Japanese Folklore, nous délivre un aperçu des contes populaires japonais et chinois primitifs dépeignant les renards et les tanukis (appelés ici blaireaux) comme des créatures dotées de pouvoirs surnaturels.

D’après Visser, les mythes entourant les capacités mystérieuses des esprits de renard ont migré du pays voisin, la Chine. Il est intéressant de noter qu’il existe peu de récits chinois mettant en scène des blaireaux, ce qui soulève des questions sur l’introduction des tanukis dans la mythologie japonaise. Une explication possible réside dans les caractères utilisés pour dépeindre les renards en Chine et au Japon. En chinois, 狐狸 était utilisé pour décrire exclusivement les renards, tandis qu’en japonais, 狐 se prononce « kitsune » et 狸 « tanuki ». Cela pourrait expliquer l’apparition des mythes sur les tanukis au Japon, malgré le manque de récits concernant ces derniers dans les sources chinoises. Bien que des similitudes existent entre ces deux yōkais , une distinction clé réside dans la divinité attribuée au kitsune dans le shintoïsme, en tant que messager d’Inari, la déesse du riz. En revanche, le tanuki ne jouit pas d’une telle association divine, ce qui le rend, selon Visser, moins puissant et moins intelligent. Cette différence influence également le ton des récits : les histoires mettant en scène le kitsune ont souvent un ton plus sérieux, tandis que le tanuki est un personnage populaire dans les contes comiques.

Remontons désormais dans le temps, le tanuki apparait pour la première fois dans un document historique du Japon intitulé Nihon Shoki, publié en 720. C’est dans le chapitre concernant le règne de l’impératrice Suiko (554-628) que le récit décrit les tanukis comme des animaux ayant la capacité de se transformer en humains et de se comporter comme tel.

Un autre récit notable se trouve être un setsuwa (type de poème), découvert dans l’Uji Shui Monogatari, une collection de contes populaires japonais rédigés au début du XIIIe siècle. Ce dernier nous relate l’histoire d’un chasseur qui rendait régulièrement visite à un ermite. L’homme solitaire n’avait de cesse de prétendre qu’il recevait des visites nocturnes du Bodhisattva Samantabhadra. Doutant de la véracité de ces propos, le chasseur resta jusqu’au coucher du soleil et le bodhisattva apparut effectivement. Cependant, trouvant étrange qu’un être aussi pur se montre si simplement, le chasseur lui décocha une flèche. L’apparition divine disparut aussitôt, révélant alors un tanuki, dont la ruse avait été percée à jour. Ce poème s’avère être l’un des premiers récits dans lesquels le tanuki est directement vu en train d’utiliser ses capacités de métamorphose pour se jouer d’un humain.

Outre ces représentations écrites, l’art a également grandement contribué à l’imaginaire du tanuki, particulièrement avec les encyclopédies illustrées. La première d’entre elles, le Kinmozui publié en 1666, dépeint le tanuki comme une créature ordinaire, sans mention de ses aspects surnaturels. Cependant, la posture de l’animal sur ses pattes arrière rappelle les traits anthropomorphes mentionnés dans le Nihon Shoki.

Les encyclopédies ultérieures mettent davantage l’accent sur les qualités surnaturelles des yōkais. L’image représentative du tanuki dans le Wakan Sansai Zue, publié en 1731, est assez similaire à celle du Kinmozui. Ce qui est intéressant ici est que l’illustration est accompagnée de la description suivante : « les vieux tanukis, tout comme les kitsunes, pouvaient se transformer en yōkai ». Cela fait allusion aux qualités surnaturelles de la créature en la plaçant dans le domaine des yōkai. 

Enfin, il serait impossible de parler des origines du tanuki sans mentionner les contes populaires à son sujet. Il en existe toute une série, mais je me limiterais aux deux plus reconnus, à savoir Kachi-kachi yama (かちかち山, traduit par  « La montagne Kachi-kachi ») et Bunbuku chagama (分福茶釜, traduit par  « La bouilloire Bunbuku »).

Dans l’histoire de Kachi-kachi yama, le mot « Kachi-kachi » évoque les sons d’un feu qui crépite. Cette légende relate les malheurs d’un tanuki qui embêtait un fermier. Agacé par les bêtises de l’animal, le fermier le capture et ordonne à sa femme de le cuisiner en ragoût. Mais le tanuki parvient à s’échapper par la ruse, causant la mort de la femme du fermier au passage. Puis, prenant l’apparence de la défunte, il sert à manger au fermier un ragoût cuisiné avec les restes de celle-ci. Profondément attristé, le fermier est réconforté par un lapin qui lui promet vengeance. Le lagomorphe met alors en place une série de tourments contre le tanuki : il met le feu à une bûche sur son dos, le fait rouler en bas de la montagne, attaché avec des lianes de glycine, et lui étale du miso sur ses blessures. Enfin, il lui offre un bateau en terre cuite, qui se met inévitablement à couler dès lors que l’animal monte dedans. Le tanuki trouve la mort par noyade en punition de ses méfaits.

Dans le conte de Bunbuku chagama, « Bunbuku » est à nouveau une onomatopée, faisant référence au bruit d’une bouilloire à thé en train de bouillir. L’histoire débute avec un vieil homme sauvant un tanuki des mauvais traitements infligés par quelques enfants. Reconnaissant, l’animal se métamorphose en bouilloire et suggère à l’homme de le vendre au temple du village pour en tirer de l’argent. L’homme suit son conseil et les prêtres sont ravis de l’offrande. Cependant, une fois posée sur le feu, le tanuki prend vie et s’échappe en proie à une douleur intense, retournant vers le vieil homme. Métamorphosé en une charmante jeune fille, le tanuki demande cette fois à être vendu à un bordel. L’homme obtempère à nouveau, et le raton laveur transformé vit alors une année entière comme prostituée. Lassé de cette existence, il revient vers le vieil homme, cette fois sous la forme d’un cheval, exprimant son dernier souhait : être vendu à un homme noble dans un pays lointain. Toutefois, le tanuki-cheval n’était pas habitué à la charge qui lui était imposée et est finalement abandonné par son maître.

Une version plus adaptée aux enfants de cette histoire élude les transformations en prostituée et en cheval, préférant décrire le tanuki remboursant ses dettes en devenant un artiste de rue, réalisant des acrobaties en tant que théière ambulante. Malgré leurs différences, ces deux contes mettent en avant les incroyables capacités de métamorphose du tanuki, révélant finalement son déguisement : intentionnellement dans Kachi-kachi yama, et involontairement dans Bunbuku chagama. Ce qui distingue principalement ces histoires, c’est le comportement du tanuki. Dans Kachi-kachi yama, il se montre malveillant, commettant des actes tragiques comme le meurtre de la femme du fermier et lui faisant manger un ragoût macabre. En revanche, dans Bunbuku chagama, le tanuki se révèle bienveillant, allant même jusqu’à veiller à ce que le vieil homme soit récompensé pour sa gentillesse.

L’Évolution du mythe du Tanuki 

À l’époque Edo (1603 – 1868), le tanuki, déjà au cœur de nombreuses légendes, voit sa notoriété s’accroître soudainement. Nous devons ce phénomène de mode à l’essor de la culture d’impression durant cette période. En effet, la popularité des estampes sur bois s’est vue amplifiée avec l’invention du nishiki-e, une technique permettant la création d’estampes multicolores plus facilement. Le tanuki, toujours accompagné de son trait distinctif, son scrotum démesuré, figure régulièrement dans les œuvres de l’époque.

La plupart des estampes d’Edo montrent le tanuki s’engageant dans des activités semblables à celles des humains, parfois même en portant des vêtements. Par exemple, l’estampe Tanuki no yomise, (traduit par « Le marché nocturne du tanuki »), réalisé par Utagawa Kuniyoshi, nous dévoile des marchands tanuki. Cependant, je vous invite à observer de plus près cette œuvre, vous verrez ainsi que le tapis sur lequel les marchands sont assis n’est pas réellement ce qu’il semble être…

Tanuki no yomise (狸の夜見世), traduit en français par « Le marché nocturne du tanuki ». Faisant partie de la série « Tanuki » (狸) réalisée par Utagawa Kuniyoshi entre 1844 et 1846.
Kuniyoshi Project

Autrefois considérés comme des êtres terrifiants, les traits farceurs et pouvoirs du tanuki sont devenus une source de divertissement populaire. De plus, sa nature « non humaine » en a fait un personnage idéal pour les satires et parodies, offrant aux artistes un moyen de représenter de manière humoristique les différentes classes sociales et la hiérarchie changeante de l’ère d’Edo.

Pour aller encore plus loin, la fin de la période Edo est marquée par la Restauration de Meiji à partir de 1868. Le Japon est à ce moment fortement influencé par les puissances étrangères, le pays subit une urbanisation rapide ainsi que des avancées technologiques majeures. Cette modernisation a été un choc pour la plupart des gens, qui craignaient les influences occidentales. En réaction, la population a commencé à aspirer à un retour aux temps anciens, souvent décrit en utilisant le terme furusato (故郷). Ce terme signifie littéralement « ville natale », et est devenu une référence à un sentiment de nostalgie pour l’image (fortement romancée) de la campagne.

Il n’est pas surprenant que des yōkais comme le tanuki aient été largement utilisés dans des récits exprimant ce sentiment de mécontentement face à ces changements. Il incarne également un symbole des croyances superstitieuses liées aux campagnes. En tant qu’esprit et gardien de la forêt, le tanuki représente le porte-parole idéal pour s’opposer à cette modernisation, devenant progressivement la voix de la nature elle-même. Cette idée est merveilleusement mise en scène dans le film Pompoko des Studio Ghibli (que je vous recommande vivement !). Il présente probablement la représentation la plus célèbre des tanukis luttant contre l’urbanisation pour préserver leur mode de vie pastoral. 

Comment intégrer un ou plusieurs Tanuki dans votre récit ?

Que ce soit pour ajouter une touche de magie, d’humour ou de mystère à votre monde imaginaire, les Tanukis offrent une multitude de possibilités pour enrichir vos histoires. Comme d’habitude, voici quelques idées pour intégrer cette charmante et versatile créature du folklore japonais :

Les gardiens de la forêt : je vous l’accorde, pour cette idée, on demeure assez proche du mythe. Imaginez un monde où les tanukis sont les gardiens secrets de la forêt, veillant sur les arbres anciens et protégeant les écosystèmes fragiles. Leur capacité à se métamorphoser leur permet de se fondre dans leur environnement et de surveiller discrètement les activités humaines qui menacent la nature. 

L’affrontement entre modernité et croyance peut être aussi une piste intéressante. Cela reste tout de même une thématique récurrente pour le tanuki, comme nous l’avons vu avec Pompoko, mais il est possible de citer également le manga GeGeGe no Kitaro de Mizuki Shigeru. 

Le compagnon de voyage : introduisez un tanuki espiègle comme compagnon de voyage pour votre héros ou votre héroïne, voire comme un familier pour vos thaumaturges. Doté d’un sens de l’humour farfelu et de pouvoirs magiques, le tanuki peut apporter une dose de légèreté et d’aventure à l’histoire, tout en offrant un soutien précieux lors des péripéties.

Les artisans cachés : dans un monde où l’artisanat est sacré, les tanukis peuvent être dépeints comme des maîtres artisans cachés, capables de créer des objets enchantés avec leur habileté magique. Leur présence se révèle souvent lorsqu’un personnage en quête d’objets rares se retrouve face à un artisan énigmatique qui se révèle être un tanuki.

J’espère que cet article vous a plu ! Personnellement, je trouve que cette exploration du mythe du tanuki nous dévoile encore une fois les profondeurs de l’imagination humaine. Et vous, qu’en pensez-vous ?

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