Plante légendaire : Le Zaqqoum


Imaginez un arbre aux épines acérées, aux fruits semblables à des têtes de démons, dont la simple évocation résonne comme une punition venue des profondeurs de l’enfer. Aujourd’hui, j’ai décidé de vous parler du Zaqqoum. Symbole de châtiment de l’eschatologie (la fin du monde) musulmane. Après en avoir appris un peu plus à son sujet, il sera certainement le dernier arbre sous lequel vous souhaiteriez vous reposer !

Un peu d’histoire 

Pour comprendre l’origine du Zaqqoum, nous devons nous plonger dans un récit très ancien. Et pas n’importe lequel, je parle ici du livre saint de la religion musulmane, le Coran. Vous avez sûrement déjà entendu le nom de Mahomet, le dernier prophète et fondateur de l’Islam. Âgé d’une quarantaine d’années, Mahomet se met à entendre des voix et avoir des visions. En cherchant à comprendre leurs origines, il se rendit au mont Hira, proche de La Mecque. C’est ici qu’il rencontra l’archange Gabriel, connu sous le nom de «Jibra’il » en arabe. Cette rencontre marque le début de nombreuses révélations qui donneront naissance au Coran. Bouleversant ainsi la perception religieuse en affirmant l’existence d’un Dieu unique, ce qui s’opposait aux croyances polythéistes de l’Arabie d’alors. Mais ce n’est pas tout. Mahomet a aussi vécu une expérience extraordinaire, qui a marqué l’histoire de l’Islam. Il s’agit de l’Isrâ’ et du Miraj, deux termes qui désignent respectivement le voyage nocturne et l’ascension du Prophète. Selon la tradition musulmane, Gabriel a emmené Mahomet de La Mecque jusqu’à la « mosquée la plus éloignée », que les musulmans identifient comme étant la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. Un périple de plus de mille kilomètres que le prophète a parcouru sur le dos de Bouraq. Il s’agit d’un cheval ailé à tête d’homme et à la queue de paon. Une monture merveilleuse venue du paradis, dont la mission est de transporter les messagers de Dieu. Arrivé à destination, Mahomet a prié aux côtés d’autres prophètes tels que Moïse, Abraham et Jésus. Ensuite, Gabriel l’a guidé à travers le paradis et l’enfer jusqu’à se retrouver face à face avec Dieu. Après cette expérience, Mahomet est retourné sur terre pour continuer à propager son message. D’après la croyance islamique, Mahomet fut le seul à voir le paradis et l’enfer de son vivant. C’est lors de ce voyage mystique qu’il a découvert le Zaqqoum, l’arbre infernal du Coran.

Bouraq, un cheval ailé à tête d’homme et à la queue de paon. Une monture merveilleuse venue du paradis, dont la mission est de transporter les messagers de Dieu.
Bouraq
Unknown sourceUnknown source, Public domain, via Wikimedia Commons

L’arbre maudit des Enfers 

Supplément turc 190
Supplément turc 190
al-Sarai, Public domain, via Wikimedia Commons

Le nom du Zaqqoum est un dérivé de la racine arabe z-q-m, signifiant « se contracter » ou « se tordre de douleur ». Cet arbre épineux, prenant racine dans les tréfonds de la Fournaise, porte en guise de fruits des têtes d’animaux sauvages et fantastiques. De funestes denrées dont la consommation s’avère être une punition réservée aux damnés. Les diverses représentations du Zaqqoum sont assez proches. Cependant, j’ai choisi de vous présenter cette enluminure provenant du manuscrit Supplément turc 190. Même si certains éléments de cet ouvrage relèvent davantage du merveilleux, d’autres sont des réalités reconnues de l’eschatologie musulmane mentionnées dans le Coran. Celle-ci nous dévoile quelques informations supplémentaires sur le Zaqqoum. Notamment la présence d’un démon à peau bleue et aux yeux rouges, qui en est le gardien. Mais aussi celle d’un brasier dans lequel des bourreaux coupent la langue de pécheurs agenouillés. 

Je vous avais prévenu-e-s, cet arbre est loin d’être beau et sympathique !

Le texte de cette enluminure nous relate le point de vue de Mahomet face à cette découverte :  

Je vis au milieu de l’enfer un arbre qui embrassait dans ses dimensions un espace de cinq cents ans de route. Ses épines étaient comme des lances et ses fruits ressemblaient à des têtes de div (démons). Gabriel me dit : « Cet arbre est le Zaqqoum dont le fruit est plus amer que le poison. Les habitants de l’enfer le mangent, mais il ne reste pas dans leurs entrailles qu’il ne fait que traverser. »

Outre cette description, le Zaqqoum est mentionné explicitement dans le Coran dans 3 sourates (37,44 et 56) où il est décrit comme l’arbre maudit et présenté comme un châtiment : 

N’est-ce pas un meilleur lieu de séjour que l’arbre de Zaqqoum ; Nous l’avons placé Comme une épreuve pour les injustes ; C’est un arbre qui sort du fond de la fournaise ; Ses fruits sont semblables à des têtes de démons ; Les coupables en mangeront et ils s’en empliront le ventre ; Puis ils boiront une mixture d’eau bouillante ; Et ils s’en retourneront dans la fournaise.

(Sourate As-Saaffat | sourate 37 – versets 62 à 68)

Le Zaqqoum
Le Zaqqoum
Shahhh, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

En somme, cet arbre serait alors l’image même d’un des tourments infernaux réservé aux pécheurs. Une torture sous forme de cercle vicieux, avec des fruits amers qui brûlent l’estomac et engendrent une grande soif, ne pouvant être étanchée qu’avec de l’eau brulante. 

Sadique n’est-ce pas ? 

Une énigme botanique

Tout comme de nombreux symboles religieux, le Zaqqoum nous entraîne dans un monde entre mythes et réalité. Les descriptions de cet arbre aux formes inquiétantes révèlent quelques indices botaniques intéressants. À l’époque du Prophète, deux spécimens végétaux d’Arabie pourraient s’en rapprocher. D’une part, l’euphorbia resinifera, largement présente au Maghreb, cette espèce est reconnue pour sa sève aux vertus purgatives, utilisée dans les médecines traditionnelles. D’autre part, le capparis spinosa, un câprier épineux commun en Méditerranée, qui arbore des fruits évoquant curieusement de petites têtes démoniaques. Certains commentateurs du Coran ont également envisagé la possibilité que la thohar, une plante indienne, toujours de la famille des euphorbiacées, puisse correspondre à cette description.

capparis spinosa
capparis spinosa
Zde, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Voici à quoi ressemblent les fruits mûrs du câprier, une fois s'être ouverts naturellement.
Voici à quoi ressemblent les fruits mûrs du câprier, une fois s’être ouverts naturellement.
Rohalamin, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Le genre Euphorbia compte plus d’un millier d’espèces réparties dans les régions les plus chaudes d’Afrique et d’Asie, ainsi qu’en Amérique et en Australie. Toutes ont un goût très amer et produisent un latex toxique. Cette quête de vérité botanique apporte un éclairage nouveau sur le mystérieux arbre de l’au-delà. Mêlant les récits religieux à la découverte des espèces végétales anciennes, où les légendes semblent croiser la réalité. Selon les dernières études, le Zaqqoum pourrait bien avoir trouvé son équivalent botanique avec l’euphorbia resinifera. Une espèce hautement toxique originaire du Maroc, et l’une des plus anciennes plantes médicinales documentées de toutes les espèces d’Euphorbia.

Euphorbia risinifera
Euphorbia risinifera
Raffi Kojian, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Je suis loin d’être experte en la matière et je fais confiance à toutes ces personnes ayant étudié le sujet. Mais je dois avouer qu’en termes d’apparence, cette plante est bien loin des descriptions qu’on a pu lire précédemment !

Le Zaqqoum dans l’imaginaire populaire 

Le Zaqqoum n’a pas d’utilisations réelles, puisqu’il n’existe pas sur Terre. Cependant, il a été utilisé comme symbole ou métaphore dans certains contextes. Par exemple, dans la poésie arabe, le Zaqqoum peut représenter la souffrance, la malédiction, la haine ou encore la vengeance. Voici un extrait d’un poème d’Al-Mutanabbi, un célèbre poète du Xe siècle :

Je ne suis pas de ceux qui se contentent de l’eau du Nil, quand ils peuvent boire du Zaqqoum. Je ne suis pas de ceux qui se réjouissent de la vie, quand ils peuvent mourir en martyrs.

(Al-Mutanabbi, Diwan, p. 218)

Étant donné qu’il ne possède pas de propriété occulte à proprement parler, ses associations à des pratiques de sorcellerie ou de superstition sont plutôt rares. Il est tout de même possible de mentionner un passage dans Les Mille et Une Nuits, où il est raconté que le roi Haroun al-Rachid fit brûler un sorcier qui avait planté un Zaqqoum dans son palais pour lui nuire. 

Malgré cela, on retrouve la mention de cet arbre infernal dans diverses œuvres de la culture populaire : 

  • Dans le manga et l’anime Berserk, il incarne un arbre gigantesque au sein du monde astral, le domaine des esprits et des démons. Cet arbre devient le lieu sinistre du sacrifice des membres de la Troupe du Faucon par leur chef. Lui-même transformé en une entité maléfique détenant un pouvoir supérieur sur le destin des hommes.
  • Côté littérature, on le retrouve dans le roman Le Diable amoureux de Jacques Cazotte. Il est présenté sous la forme d’un parfum offert au protagoniste par une jeune femme à l’apparence enchanteresse, mais qui se révèle être le diable en personne. Ce parfum a le pouvoir de plonger l’homme dans une folie amoureuse, le poussant à accepter sa demande en mariage, scellant ainsi un pacte avec le diable.
  • Dans le monde du jeu vidéo, Final Fantasy X introduit le Zaqqoum comme un monstre résidant dans la Plaine foudroyée, une région hostile et tourmentée. Cette créature végétale attaque ses ennemis avec des épines et des racines

Le Zaqqoum demeure une figure obscure et terrifiante de l’eschatologie musulmane. Ses représentations dans la culture populaire s’inspirent très bien des thématiques qui l’entourent. Cependant, il est souvent éclipsé par d’autres symboles plus connus. Son mystère et son aura sinistre en font un choix captivant, qui offre un terrain fertile pour vos univers fantasy !

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Une réponse à “Plante légendaire : Le Zaqqoum”

  1. Je ne connaissais pas du tout cette légende, c’est une très bonne découverte ! J’ai inventé quelques plantes pour mon univers fantasy, peut-être que je trouverai une place pour celle-ci à un moment ou un autre.

    Je confirme que les plantes type « euphorbe » sont vicieuses, je l’ai appris à mes dépens en désherbant l’une d’elle dans mon jardin… Son latex m’a brûlé le visage. Il faut vraiment y faire attention !

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