Le Garuda, l’oiseau majestueux


Dimanche dernier, tandis que le solstice d’hiver hindou embrasait le cœur de millions de personnes, est née l’idée de vous présenter l’une des figures emblématiques des croyances hindoues et bouddhistes. Il s’agit de Garuda, cette créature légendaire émerge des récits ancestraux pour continuer de captiver nos esprits modernes.

Présentation de Garuda

Garuda, dont le nom dérive du sanskrit signifiant « qui a la forme de l’aigle », est intimement ancré dans les textes anciens tels que le Mahâbhârata, le Garuda Purana et d’autres récits hindous et bouddhistes. Dans le Mahâbhârata, le livre présente un récit épique sur la naissance et le voyage de Garuda, tandis que le Garuda Purana est un Purana (texte sacré composé sous forme poétique) qui lui est dédié.

Garuda, le « vahana » de Vishnu, revient avec le vase d'Amrita qu'il avait volé aux dieux pour libérer sa mère de Kadru, mère des serpents. Le « vahana » est la monture animale ou le véhicule d'un dieu ou d'une déesse hindoue. D'une série de 100 dessins de divinités hindoues créés en Inde du Sud.
Peinture de Garuda tenant l’Amrita. Exposée au British Museum 
Unknown (production), Public domain, via Wikimedia Commons

Cette créature mythique se présente comme une combinaison singulière où torse et bras humains cohabitent avec des ailes, une tête, un bec et des serres empruntés à l’aigle. Son corps a la couleur de l’or, tandis que ses ailes s’embrasent d’un rouge vif, contrastant avec un visage d’une blancheur immaculée. Cependant, selon ses représentations iconographiques, les parties animales et humaines peuvent être inversées. 

Reconnu sous diverses appellations telles que le « roi des oiseaux » (Khagesvara), « celui aux belles plumes » (Suparna), ou encore « le dévoreur » (Nagantaka). Ce dernier titre évoque sa relation antagoniste avec les nāgas, des serpents mythiques récurrents dans les récits hindous. Ils sont également considérés comme les ennemis naturels de Garuda. 

En s’intéressant à Garuda, l’image la plus récurrente de celui-ci se trouve être celle de la monture divine, appelée Vâhana, du dieu Vishnu. En tant que Vâhana du deuxième dieu de la trinité hindoue, Garuda incarne la protection divine, la naissance ainsi que le paradis, tout en démontrant une immense puissance. Le mythe de Garuda possède une origine hindoue, mais son image va progressivement s’étendre pour venir rencontrer la culture bouddhiste. Une telle chose implique évidemment certaines différences de représentation.

Les Origines

Le mythe de Garuda dans l’hindouisme

En Indonésie, le mythe de Garuda se dessine dans le premier livre du Mahâbhârata, l’Adi Parva. En tombant sur ce récit durant mes recherches, j’avoue avoir été totalement happée par sa lecture. Alors, quoi de mieux pour comprendre son origine, qu’un résumé condensé de la première histoire mentionnant cet être exceptionnel.

Garuda est le fils d’un sage nommé Kasyapa, qui avait épousé treize des filles de Daksha, une divinité védique, c’est-à-dire, issue des plus anciens textes sacrés de l’hindouisme. Je vous rassure, je ne vais pas vous assommer avec le nom de chacune d’entre elles. Seuls deux sont à retenir : Vinata et Kadru. La première étant la mère de Garuda et la seconde l’une des autres épouses du sage, sœur de Vinata. Un jour, Kasyapa décida de conférer un bienfait à chacune de ses deux épouses.

Kadru demanda alors à devenir la mère de millier de puissants nāgas. Quant à Vinata, elle désirait avoir deux fils qui surpasseraient en force et en vaillance ces nombreux nāgas.

Des mois plus tard, Vinata mit au monde deux œufs et Kadru, mille. Les années passèrent et les mères attendaient anxieusement l’éclosion des œufs. Alors que les fils de Kadru décidèrent enfin de sortir de leurs coquilles, Vinata se sentit jalouse. Dans son impatience, elle brisa l’un de ses œufs, pensant que ses fils avaient peut-être besoin de son aide. Mais c’est avec horreur qu’elle découvrit que la moitié inférieure de sa progéniture n’était plus qu’un morceau de chair. L’enfant la pointa d’un doigt accusateur en disant : « Maman, tu vas payer ton impatience avec l’esclavage. Mais si tu peux être plus patiente avec l’autre œuf, mon frère t’en délivrera. » Ce premier fils, nommé Aruna, s’éleva ensuite dans les cieux pour devenir le char de Surya, le dieu du soleil. 

Un peu plus tard, lors de l’événement du Barattage de l’océan lacté, Kadru et Vinata virent passer le destrier céleste, appelé Uchchaishrava. Elles décidèrent de parier sur la couleur du cheval. Kadru affirma que celui-ci était blanc avec une queue noire tandis que Vinata déclara que l’animal était entièrement blanc. Vous vous demandez sûrement ce qui était en jeu ? Ni plus ni moins que la liberté, la perdante deviendrait l’esclave de l’autre pour le reste de sa vie. Kadru craignait que sa sœur ne l’emporte, alors, elle ordonna à l’un de ses fils de couvrir la queue du cheval de noir. Ainsi, Vinata devint l’esclave de sa sœur.

Pendant ce temps, le deuxième fils de Vinata brisa sa coquille après près de cinq cents ans, et Garuda apparut au monde. Cet être mi-homme mi-oiseau, doté d’une force sans pareil, était capable de prendre n’importe quelle forme, d’aller n’importe où et d’appeler à son aide n’importe quelle énergie. 

Garuda s’envola alors pour voir sa mère et découvrit qu’elle était asservie à Kadru. Il fit le vœu de mettre fin à sa servitude et demanda à sa tante le prix à payer pour sa liberté. Cette dernière lui répondit qu’elle et ses nāgas désiraient l’Amrita, le nectar de l’immortalité. Ni une ni deux, Garuda entreprit un long voyage rempli de rencontres avec d’autres divinités et de combats épiques. Bien que passionnant, je vous passe les détails de ce périple.

Arrivé au lieu de conservation de l’Amrita, Garuda vainquit sans encombre les gardes qui tentèrent de l’arrêter. Il devait dorénavant s’attaquer au mur de feu qui entourait le pot d’Amrita. Capable de changer de forme à volonté, Garuda créa 90 fois 90 bouches et les remplit d’eau pour maîtriser le mur de feu.

Après cela, il se précipita à l’intérieur et se retrouva face à une roue constituée d’acier tranchant. Lorsque son regard se posa sur son dû situé sous la roue, il vit des nāgas venimeux. Garuda ne se laissa pas perturber, et, en un instant, réduisit sa taille et se glissa sous la roue. Il se mit ensuite à battre des ailes sans relâche, projetant de la poussière et de l’eau. Avant que les serpents aveuglés ne comprennent ce qui se passait, Garuda les avait tués et mangés. Il se mit ensuite à grandir, brisant la roue en un million de morceaux par la force de son action. Puis, avec un cri de triomphe, il s’éleva dans le ciel.

Mais tandis qu’il volait en direction de sa mère, le dieu Vishnu l’aperçut. Garuda était en possession d’un artefact d’une grande puissance, capable de conférer l’immortalité, mais il n’en avait pas touché une goutte. Cet acte d’abnégation plut à la divinité. Il accorda alors deux bienfaits à Garuda : qu’il soit exempt de maladie et qu’il soit immortel. En retour, l’homme-oiseau promit d’être la monture de Vishnu dès qu’il aurait accompli sa mission.

Après avoir pris congé de Vishnu, alors qu’il continuait son envol, Indra, l’un de ses frères et dieu du ciel et du tonnerre, l’attaqua. Il lui lança sa foudre, mais Garuda lui assura que celle-ci n’atteindrait pas une seule de ses plumes. Et là, c’est le coup de théâtre, Indra fut tellement stupéfait par la puissance de son frère, qu’il décida de lui jurer une amitié éternelle. La cerise sur le gâteau, il lui promit également de l’aider dans sa quête en permettant aux nāgas de devenir sa nourriture naturelle. Garuda rentra chez lui et présenta l’Amrita aux nāgas, qui acceptèrent enfin de libérer sa mère.

Ce mythe immémorial dans le Mahâbhârata résonne encore aujourd’hui, Garuda transcende l’histoire mythologique pour devenir une figure surnaturelle, héroïque et libératrice. En effet, cet épisode fait écho à l’histoire de l’Indonésie, plus précisément à sa lutte pour l’indépendance. Tout comme Vinata a été délivrée de l’esclavage, la mère patrie indonésienne, connue sous le nom de Ibu Pertiwi s’est affranchie du colonialisme grâce à ses enfants, symbolisés par Garuda.

Ce parallèle entre le mythe et l’histoire nationale s’exprime à travers le Garuda Pancasila, l’emblème national indonésien. Ce symbole, représentant un aigle épervier javanais, est empreint de significations. Sa couleur dorée incarne la grandeur de la nation, tandis que ses détails minutieux portent la mémoire de l’indépendance. Avec 17 plumes sur chaque aile, 8 sur la queue inférieure, 19 sur la queue supérieure et 45 sur le cou. Ces dernières correspondent à la date historique de la proclamation de l’indépendance de l’Indonésie, le 17 août 1945. 

Le Garuda Pancasila, emblème de l’Indonésie.
Gunawan Kartapranata, Public domain, via Wikimedia Commons

Outre ce récit principal que je vous ai conté, Garuda apparait dans d’autres textes hindous. Par exemple, dans Le Garuda Purana, Vishnu et Garuda entretiennent un long dialogue sur divers sujets religieux. On y retrouve des thématiques telles que le péché, la mort, les rites funéraires, ou encore la naissance. Ici, l’accent est mis sur le cycle de vie des êtres humains et sur l’importance de Garuda en tant que divinité. 

L’histoire de Garuda dans le Bouddhisme

Dans le canon bouddhiste, Garuda est représenté comme une entité céleste dotée d’une intelligence remarquable et d’une profonde compréhension des dimensions spirituelles. Ce mythe diffère de celui de l’hindouisme, où Garuda est souvent associé à Vishnu. L’une des premières différences notables est que dans la littérature bouddhiste, le Garuda n’est plus un être unique, mais est décrit comme une communauté d’énormes oiseaux dont la demeure se trouve dans la forêt d’Himapan, au pied du mont Sumeru.

Deux principales sources écrites dépeignent les Garudas. La première est le Traibhumikatha. Il s’agit d’une cosmologie bouddhiste thaïlandaise qui décrit l’univers, les différents mondes, et leurs habitants. Au sein de cette perspective, trois mondes distincts prennent forme : 

  • Le monde du désir sensuel (Kamabhum) : celui dans lequel nous vivons physiquement.
  • Le monde comportant les vestiges des facteurs matériels (Rupabhum) : un lieu au-delà de la réalité physique habité par des clercs et d’autres dévots spirituels.
  • Le monde sans facteurs matériels (Arupabhum) : un royaume spirituel sans forme où seuls les esprits des clercs et des autres personnes qui ont consacré leur vie aux questions spirituelles sont présents.

Dans cet ouvrage, le mythe de Garuda prend place dans le deuxième royaume du monde du désir sensuel : le royaume des animaux. Traibhumikatha décrit un groupe d’oiseaux majestueux, pieux et puissants, appelés les Garudas royaux. Ils ressemblent à des animaux par leurs formes, mais vivent et mangent comme des êtres divins. Ils sont aussi capables de lire les présages célestes.

La seconde source écrite sont les récits de Jataka, qui relatent les vies antérieures du Bouddha. On y trouve plusieurs épisodes mettant en scène Garuda, mais contrairement au mythe hindou, rien de très exaltant ou épique. L’accent est plutôt mis sur l’animosité entre Garuda et les nāgas, qui demeurent la nourriture et proie naturelle du puissant oiseau. En revanche, quelques détails sont ajoutés. Il est expliqué que les garudas naissent selon l’un des quatre modes suivants : l’œuf, l’humidité, l’utérus ou le mode instantané. Ils ne peuvent pas s’attaquer à un nāga de rang inférieur ou supérieur aux leurs, et ne peuvent se nourrir que des nāgas étant nés selon le même mode qu’eux.

Comme en Indonésie, Garuda dépasse l’imaginaire afin de devenir l’emblème national de la Thaïlande. Dans les deux pays, le caractère sacré ainsi que les vertus qui lui sont associées, telles que la bravoure, l’abnégation ou la loyauté, sont reconnues. Alors que dans les textes hindous, l’image de Garuda en tant que monture divine est prédominante, cette notion n’apparaît nulle part dans les textes bouddhistes. Ce qui démontre les rôles différents du mythe dans ces deux traditions. 

L’emblème thaïlandais de Garuda
Sodacan, Public domain, via Wikimedia Commons

Ces nuances culturelles se reflètent non seulement dans la symbolique, mais aussi dans les manifestations artistiques. En Indonésie, Garuda est représenté sous la forme d’aigle de Java, tandis qu’en Thaïlande, il adopte une forme davantage anthropomorphique.

Ces différences d’interprétation peuvent trouver leurs racines dans l’histoire passée. En effet, tant en Indonésie qu’en Thaïlande, les rois étaient auparavant considérés comme l’incarnation physique du dieu Vishnu. Comme nous l’avons vu, les croyances hindoues vénèrent Garuda pour ses vertus et son attrait divin. Cependant, côté bouddhiste, cet être mythologique demeure majoritairement associé à la royauté. L’utilisation de Garuda par les entreprises en Thaïlande s’inscrit dans une sphère de reconnaissance officielle, associée aux affaires de l’État. Certaines entreprises privées bénéficient même du Tra Trang, soit le privilège d’utiliser Garuda comme emblème d’État. Il représente alors une distinction et un honneur majeur, témoignant de son importance dans le tissu sociétal et institutionnel du pays.

Comment intégrer un ou plusieurs Garuda dans votre récit ? 

Choisir d’intégrer un ou plusieurs Garuda dans un récit offre un défi stimulant et une richesse narrative. De la légende ancienne aux adaptations contemporaines, cet être majestueux possède une symbolique puissante et peut venir s’inscrire parfaitement dans vos mondes fantasy, en y apportant une dimension transcendante. 

Comme à mon habitude, voici une sélection de quelques idées qui m’ont traversé l’esprit :

  • Les Gardiens Célestes : imaginez des êtres ailés, symboles de sagesse et de protection, s’associant aux héros pour défendre un royaume menacé.
  • Le Voyageur Intemporel : Garuda, en tant que voyageur interdimensionnel, pourrait être un guide emmenant les protagonistes à travers des mondes parallèles.
  • La Divinité Élémentaire : créez une interprétation où Garuda est lié à un élément spécifique, contrôlant les forces de la nature.
  • L’Énigme Spirituelle : utilisez Garuda comme une énigme mystique, transmettant des prophéties ou des connaissances ésotériques.

Et c’est ainsi que cet article touche à sa fin. J’espère que ce voyage vous a plu et qu’il vous donnera 90 fois 90 idées pour vos histoires !

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