L’Ours blanc, symbole puissant dans le Grand Nord


À l’approche de la journée internationale de l’ours polaire, le 27 février prochain, je me suis dit qu’il serait intéressant d’en apprendre un peu plus sur cet animal emblématique. Au-delà de sa majesté physique, l’ours blanc incarne un symbole puissant dans les cultures du Grand Nord, où mythes et légendes perpétuent son héritage. Partons ensemble pour un voyage captivant à travers les terres glacées de l’Arctique, où la grandeur de l’ours blanc dépasse de loin ses dimensions physiques.

Présentation

L’ours blanc, aussi connu sous le nom d’ours polaire dans la langue anglaise, est bien plus qu’une simple créature des régions arctiques. À la fois mammifère marin et terrestre, il incarne la force et la ruse, naviguant habilement entre les eaux glacées et les terres enneigées. 

Une ourse polaire femelle Ursus maritimus et son petit sur une glace dérivante dense dans le détroit d’Hinlopen, Svalbard. La mère et le petit ont l’air bien nourris et en bonne santé puisqu’ils ont manifestement réussi à atteindre la banquise nord au printemps en temps voulu.
AWeith, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Contrairement à la croyance populaire, la fourrure de l’ours polaire n’est pas totalement blanche. Chaque poil est en réalité transparent et creux, agissant comme une fibre optique. Lorsque la lumière du soleil frappe leur surface, celle-ci est réfléchie, donnant à l’ours son apparence blanche caractéristique. Cependant, la peau de l’ours est noire, ce qui l’aide à absorber la chaleur du soleil et à maintenir sa température corporelle. Même s’il est rarement observé au-delà de la latitude 86° nord, l’ours blanc peuple les pourtours de l’océan Glacial Arctique, fréquentant notamment la baie de Baffin, l’archipel arctique nord-canadien et l’Alaska. Cette répartition géographique unique en fait une ressource précieuse pour les peuples autochtones vivant dans ces régions isolées.

Prisé pour sa peau, sa viande, sa graisse et ses os, cet animal a joué un rôle crucial dans la survie des communautés locales. Sa peau, utilisée pour confectionner des vêtements et des équipements essentiels, symbolise la fierté et la tradition des Eskimos polaires et des Netsilingmiut de l’isthme de Boothia. Sa viande, bien que parfois évitée en raison de la toxicité du foie, a souvent sauvé des explorateurs en quête de nourriture sur la banquise hostile.

Le folklore inuit le considère comme une source de pouvoir chamanique. Il se situe à la frontière entre les puissances invisibles et la société inuite. Ainsi, il représente un lien vital entre les mondes spirituels et matériels. Les chamanes utilisaient fréquemment des amulettes d’os ou d’ivoire représentant des ours blancs pour canaliser ces énergies mystiques. Aujourd’hui encore, l’ours polaire reste l’un des sujets les plus représentés par les artistes inuits, perpétuant ainsi cette tradition millénaire.

Malgré sa stature imposante et son importance culturelle, l’ours blanc est confronté à de nombreux défis dans le monde moderne. Le réchauffement climatique et la fonte des glaces menacent son habitat naturel, tandis que les activités humaines telles que la chasse et la pollution perturbent son mode de vie ancestral. Symbole de la fragilité de l’équilibre écologique de l’Arctique, l’ours blanc suscite une prise de conscience croissante quant à la nécessité de protéger cet environnement unique et précieux.

Nanuq, le maître des ours

NANUK IER –  Œuvre du sculpteur Abraham Anghik Ruben.
https://www.abrahamruben.com/artwork/nanuk-i/

Les Inuits, peuple autochtone s’étendant de la mer de Béring jusqu’au Groenland, en passant par l’Alaska et le nord du Canada, constituent une famille culturelle unifiée. Outre les liens linguistiques, ils partagent une culture et un mode de vie similaires, comme en témoignent leurs expressions artistiques. Les récits oraux occupent une place centrale dans la transmission des connaissances et des valeurs au sein de leur culture. Les communautés inuites possèdent également une mythologie bien à elles. Celle-ci se présente comme du chamanisme, mêlée à une vision animiste du monde. C’est-à-dire que ces hommes et femmes croient au fait que les esprits investissent les éléments naturels, ainsi que les animaux.

Parmi les créatures emblématiques de cet univers polaire, l’ours blanc, connu sous le nom de Nanuq en inuktitut ou Nanoq en groenlandais, occupe une place particulière. Le terme « nanuq », symbolise autant l’animal en tant que tel, que sa figure mythologique. Il incarne la force et l’intelligence, suscitant à la fois crainte et respect chez les Inuits, qui le considèrent comme une source d’inspiration. Les connaissances de ces populations concernant les ours polaires proviennent majoritairement d’enseignements intergénérationnels, transmis par les parents et les aînés. À cela s’ajoute leurs expériences directes ainsi que leurs observations et théories.

Ainsi, le mythe de Nanuq est né et continue de prospérer au sein de ces communautés arctiques, véhiculant des récits riches en enseignements et en valeurs culturelles. Ces histoires traditionnelles sont particulièrement complexes et riches en significations. Elles contiennent des codes de conduite qui sont souvent compris uniquement par les Inuits eux-mêmes.

Dans ces récits mythologiques, Nanuq est généralement représenté comme un être divin doté de capacités humaines. De ce fait, il serait capable de changer de forme pour échapper à ses poursuivants. Lorsqu’il souhaite éviter la chasse, il pourrait également se métamorphoser en oiseau, en renard, ou même en bloc de glace.

La chasse à l’ours polaire revêt une importance cruciale dans la culture inuite. À la fois dangereuse et hautement ritualisée, cette activité est réservée à quelques hommes de la communauté seulement. Nanuq décide si les chasseurs sont dignes de trouver et de tuer des ours, et sanctionne toutes transgressions. Par conséquent, les chasseurs veillent à ne pas l’offenser. La chasse, qui peut durer plusieurs jours, se déroule dans un silence absolu, car Nanuq peut les entendre à tout moment. Après la mise à mort de l’ours, une période de deuil de plusieurs jours est observée, et est accompagnée de rituels spécifiques. Des offrandes sont présentées à l’ours pour demander son pardon et le remercier, et son corps fait l’objet d’un traitement respectueux. En agissant ainsi, les humains espèrent bénéficier de la faveur de Nanuq pour des chasses fructueuses à l’avenir.

Cependant, le maître des ours peut également punir les humains en cas de mauvaise conduite. Ceux qui refusent de partager leur nourriture avec leurs voisins connaîtront la malchance à la chasse, tandis que ceux qui font preuve de générosité seront aidés et rencontreront un succès certain. Ainsi, le respect des traditions et des croyances inuites est essentiel pour assurer une cohabitation harmonieuse avec ces grands prédateurs, afin de garantir la prospérité de la communauté.

Le mythe de Nanuq est par ailleurs associé à des récits de création. Selon la tradition inuite, il aurait lui-même enseigné aux humains l’art de la chasse au phoque, soulignant son rôle central dans la survie et la subsistance de ces peuples.

L’ours blanc au cœur de la mythologie inuite 

Au fil des générations, l’ours blanc se retrouve dans de nombreuses légendes. La mythologie inuite abonde de récits où des individus marginalisés de la société, tels que des orphelins ou des chasseurs malheureux, voient leur sort changer grâce à l’intervention d’un ours. C’est notamment le cas dans la célèbre légende de Kâgsagssuk. Cette dernière relate l’histoire d’un orphelin maltraité qui implore l’Homme-Lune, considéré comme une figure paternelle protectrice, symbole de sagesse et de générosité dans la tradition inuite. Le malheureux reçoit de cette divinité, par l’intermédiaire d’un ours, le don de s’élever au-dessus de sa condition de paria et de prendre la place de ses persécuteurs.

Dans une toute autre dynamique, l’ours polaire peut également servir d’instrument aux chamans et aux esprits malveillants. Pour cela, il prenait la forme d’un tupilaq, une créature fabriquée artificiellement par les chamans à partir de diverses matières organiques animales (graisse, os, peau…). Cette créature messagère de vengeance et de mort devait ensuite être animée par des incantations rituelles. Puis, elle était envoyée en mer pour traquer et éliminer un ennemi désigné. Cependant, recourir à un tupilaq comportait des risques, si la cible était dotée de pouvoirs magiques supérieurs à ceux du fabricant, le tupilaq pouvait se retourner contre lui et le tuer. Toutefois, le créateur pouvait se soustraire de ce funeste destin en avouant publiquement son action.

Des tupilaqs du Groenland fabriqués en dents de cachalot.
Ray Swi-hymn from Sijhih-Taipei, Taiwan, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

Par ailleurs, de nombreuses autres légendes relatent un phénomène d’échange d’identité entre humains et ours, permettant d’acquérir une force accrue ou d’échapper aux contraintes environnementales. Selon ces récits, les ours pouvaient autrefois ôter leur peau pour revêtir une forme humaine. À contrario, un homme portant un manteau en peau d’ours pouvait se transformer en ours lui-même. Malgré les similitudes physiques et de mode de vie entre les deux espèces, l’union entre un être humain et un ours se soldait bien souvent par un échec. Généralement marqué par le meurtre ou l’exclusion sociale, illustrant ainsi la séparation inéluctable dictée par la nature entre le monde humain et animal.

Vous devez sans doute vous dire que toutes ces légendes sont intéressantes, mais pourquoi le peuple inuit accordait-il autant d’importance à cet animal ? Car avant de vénérer Nanuq, il faut bien une explication quant à son origine.

Cette dernière nous est offerte par Ernest William Hawkes, un anthropologue américain qui s’est particulièrement intéressé aux peuples autochtones d’Alaska et du nord du Canada. Selon la version qu’il a recueillie en 1916, les Inuits assimilent la naissance de l’ours blanc à celle d’autres animaux marins, relatée dans un mythe phare de leur culture. 

Peut-être avez-vous déjà entendu, de près ou de loin, le nom de Sedna, la déesse inuite de la mer. Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous raconter brièvement son histoire. Mais avant cela, je tiens à mettre l’accent sur le fait que, comme pour beaucoup de récits de traditions orales, les versions sont nombreuses ! Pour ma part, j’ai choisi de vous raconter celle qui m’a le plus marquée durant mes recherches.

La légende de Sedna

La déesse inuite Arnakuagsak — vieille femme de la mer — est l’équivalent groenlandais de la déesse inuite canadienne Sedna. Statue d’Arnakuagsak à Nuuk, Groenland. Photo © ORS | Jeffrey Gallant
https://geerg.ca/requin-groenland/

Il y a très longtemps, vivait une jeune fille d’une beauté remarquable et aimée de tous : Sedna. Fille d’un chef de tribu éminent, son destin semblait tout tracé vers un mariage heureux. Cependant, une ombre planait sur cette perspective : son propre père, sélectif et exigeant dans le choix de son futur gendre.

Malgré une semaine de festivités dédiée à la recherche d’un prétendant, aucun ne parvenait à satisfaire pleinement le grand chef. Selon lui, les candidats manquaient toujours de quelque chose. Celui-ci ne savait pas danser, ou bien celui-là était un piètre chasseur.

À la fin de cette semaine décisive, un étranger fit son apparition. Vêtu d’une parka d’épaisse fourrure habilement cousue, il menait une meute de chiens robustes et bien nourris qui tiraient un traîneau chargé de peaux d’ours polaires. Son allure imposante et ses compétences de chasseur impressionnèrent la tribu, séduisant même le père de Sedna qui accorda finalement son aval à leur union. 

L’étranger emmena sa dulcinée avec lui afin de construire un nouveau foyer, loin des regards de tous. Les années passèrent, et l’envie de revoir Sedna poussa sa famille à entreprendre un voyage vers leur île isolée. Mais à leur arrivée, une scène déchirante les attendait. Sedna, attachée à un pieu, affamée et maltraitée, suppliait sa famille de fuir loin de son mari démoniaque.

Horrifié par l’état de sa fille adorée, le père libéra cette dernière de ses liens avant de prendre la fuite. Soudain, l’étranger qui avait su charmer tous les regards se manifesta sous la forme d’un aigle immense, empreint de vengeance. Planant au-dessus des flots tumultueux, il lança un sinistre ultimatum au père : « Rendez-moi votre fille ou je vous tuerai. »

Le père ignora cette menace et continua de ramer de toutes ses forces pour échapper au prédateur ailé. L’aigle continua : « Rendez-moi votre fille ou je tuerai votre famille ». Encore une fois, le paternel ne pouvait se résoudre à laisser son enfant entre les serres malveillantes de ce démon. C’est alors que le dernier avertissement de l’aigle le troubla : « Rendez-moi votre fille ou je réduirai en cendre toute votre tribu. »

Ce n’était plus seulement sa vie ou celle de sa famille qui était en jeu, mais bien le sort de toute sa communauté qui pesait sur les épaules du chef. Il était le garant de la santé de toutes ces personnes. Cela lui arracha le cœur, mais il décida de pousser sa propre fille par-dessus bord. L’eau glacée submergea Sedna, qui sombra sous les vagues, mais rapidement, elle refit surface et s’agrippa au rebord de la pirogue, suppliant son père de la sauver. Celui-ci attrapa une hache afin de lui couper un doigt, qui se transforma en une multitude de petits poissons aux couleurs vives.

Sedna sombra de nouveau, puis réapparut pour plaider sa cause, son père lui coupa une nouvelle fois les doigts. Ces derniers devinrent des phoques qui s’en allèrent peupler toute la rive. Dans un ultime effort, Sedna s’accrocha une dernière fois. Sans grande surprise, son géniteur lui coupa le peu de doigt qu’il lui restait. Cet ultime acte de sacrifice donna naissance aux baleines dans les eaux profondes et aux ours polaires sur la terre.

Finalement, alors que Sedna sombrait dans les profondeurs océaniques pour y vivre éternellement, son sacrifice la transforma en une déesse protectrice des mers. Désormais, elle veille sur les créatures marines, offrant sa compassion aux âmes égarées et incarne l’éternelle beauté et la force indomptable de l’océan.

Comment intégrer un ou plusieurs ours blancs à votre récit ?

Après avoir exploré les multiples légendes et mythes entourant l’ours blanc, voici quelques idées pour intégrer cet animal fascinant dans vos propres récits :

  • L’ours blanc pourrait être un guide spirituel pour vos protagonistes, leur fournissant des informations et enseignements précieux. Par exemple, dans la saga de Licia Troisi : Les Chroniques du monde émergé, des créatures appelées « ours des glaces » apparaissent dans le troisième volet. Ces derniers sont liés à la déesse Sedna, qui leur a donné une partie de son âme (comme nous l’avons vu dans le mythe de celle-ci). Ils vivent dans la Terre de la Nuit, une région glacée et inhospitalière, où ils sont les seuls à pouvoir survivre. Ces ours deviennent les alliés de Nihal, l’héroïne de la saga, et lui enseignent la maîtrise de la magie des glaces.
  • Dans un monde fantasy, l’ours blanc pourrait être le gardien d’un territoire glacé, protégeant ses habitants des intrus. Cela évoque l’idée de Beorn dans Le Hobbit de J.R.R. Tolkien, un homme capable de se transformer en ours qui protège sa maison et les terres environnantes.
    Dans une même idée, on retrouve dans de nombreux univers fantasy (World of Warcraft par exemple) des chamans ou druides capables de se métamorphoser en divers animaux, tels que l’ours polaire.
  • Dans certaines histoires, l’ours blanc pourrait apparaître comme un esprit vengeur, suivant ainsi le modèle des légendes inuites où ceux qui ont enfreint les lois de la nature sont punis. Cette idée est d’ailleurs explorée dans le film d’animation Frère des Ours de Disney. Kenaï, le protagoniste, se venge de l’ours qui a tué son frère en lui ôtant la vie à son tour. Malheureusement, cet acte de représailles le transforme lui-même en l’animal qu’il hait tant.
  • Il est évident que ce grand prédateur est intimement lié à un environnement arctique. En tant que tel, il est facile de l’associer à une magie de glace, lui permettant de contrôler des tempêtes de neige ou tout autre élément gelé. Dans la série de romans La Croisée des Mondes de Philip Pullman, les panserbjørne sont des ours polaires capables de manipuler la glace et le froid.
    En restant dans l’univers de Philip Pullman, il est possible de parler de l’ours blanc dans le rôle de gardien de passages secrets. Celui-ci pourrait protéger l’accès à des lieux mystérieux ou des portails vers d’autres mondes, nécessitant son approbation pour y entrer.

J’espère que cet article vous a plu, et que ces légendes ont éveillé en vous un intérêt pour la richesse et la diversité des croyances qui entourent ce prédateur arctique emblématique.

Souhaitez-vous découvrir d’autres créatures légendaires ?


Une réponse à “L’Ours blanc, symbole puissant dans le Grand Nord”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.