Comment écrire un roman respectueux des femmes


En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, je pense qu’il est crucial de réfléchir à la manière dont nous représentons les femmes dans nos récits.

Trop souvent encore, la littérature reproduit des stéréotypes et des tropes sexistes qui contribuent à perpétuer (inconsciemment ou pas) les inégalités de genre. Pourtant, en tant qu’écrivains et écrivaines, nous avons le pouvoir, et même la responsabilité d’une certaine manière, de créer des récits respectueux, égalitaires et inclusifs.

Dans cet article, j’ai eu envie de vous présenter des techniques de rédaction et de construction de récit sous forme de niveaux de difficulté. De cette manière, chacun et chacune d’entre vous pourra se familiariser progressivement avec les outils nécessaires pour écrire des romans respectueux des femmes, peu importe votre niveau d’expérience en écriture.

En suivant ces étapes graduelles, vous pourrez affiner vos compétences pas à pas et intégrer des pratiques inclusives dans votre processus d’écriture, contribuant ainsi à promouvoir une représentation équilibrée et authentique des femmes dans la littérature.

Niveau 1 : Le test de Bechdel

Sans être parfait ni même complet, le test de Bechdel est pourtant un premier pas vers des romans plus inclusifs.

Pour réussir ce test, une œuvre doit comporter au moins deux personnages féminins nommés qui se parlent entre elles de quelque chose d’autre que d’un homme.

Cela peut sembler simple, mais c’est un critère de base pour garantir la présence et la voix des femmes dans votre récit. En outre, je vous garantis que très peu de films et de romans connus passent ce test…

Si vous souhaitez en savoir plus, j’ai écrit un article complet sur le test de Bechdel : Vos romans sont-ils sexistes ?

Niveau 2 : Éviter les sexismes ordinaire et bienveillant

Ces deux formes de sexisme sont très insidieuses tant elles sont communes et banales au point que l’on ne les remarque plus.

Le sexisme ordinaire se manifeste souvent de manière subtile dans nos interactions quotidiennes. Il se caractérise par des attitudes, des comportements, des représentations ou des réflexions qui renforcent les stéréotypes de genre.

Le sexisme bienveillant, quant à lui, prête aux femmes des qualités soi-disant naturelles d’empathie, de fragilité, de sensibilité, de douceur, etc.

Quelques exemples de choses à éviter :

  • Syndrome Trinity : cette expression fait référence au personnage de Trinity dans la trilogie Matrix et désigne le trope qui consiste à introduire un personnage féminin particulièrement compétent et intéressant, pour finalement le réduire à la fonction de bras droit (et de love interest) du héros masculin. On peut citer Hermione Granger dans Harry Potter, Astrid dans Dragons, Arya dans Eragon, Claire dans la série Chasseurs de Trolls, etc.
  • Syndrome de la Schtroumpfette : ce principe, nommé selon le personnage éponyme de Peyo, fait référence à la sur-représentation (volontaire ou inconsciente) des protagonistes masculins dans les œuvres de fiction, au détriment des protagonistes féminins. Cela réduit les femmes à des exceptions plutôt qu’à des membres égaux du groupe, renforçant ainsi l’idée qu’elles sont des intruses dans les espaces dominés par les hommes.
  • Paternalisme et le mansplaining : lorsque les personnages masculins (ou l’auteur) adoptent un comportement paternaliste, sur-protecteur et condescendant envers les personnages féminins. Cela renforce l’idée que les femmes ont besoin d’être protégées ou guidées par des hommes, perpétuant ainsi des dynamiques de pouvoir inégalitaires et l’auto-attribution par les hommes d’une forme d’autorité supérieure.
  • Des perso féminins plus faibles et/ou trop beaux : le sexisme ordinaire se manifeste également dans la représentation de personnages féminins qui sont soit dépeints comme étant physiquement faibles, soit hypersexualisés à des fins de gratification masculine.
  • Des réflexions sexistes : des réflexions telles que parler des femmes en utilisant des termes infantilisants comme « les filles », ou cantonner les femmes à des rôles traditionnels de mères, d’épouses, de soutien psychologique…

Niveau 3 : Créer des personnages féminins réalistes avec leur propre arc narratif

Trop souvent, lorsque je croise des personnages féminins, ils sont stéréotypés et superficiels, et n’ont pas d’arc narratif propre.

La plupart du temps, leur arc narratif dépend directement de celui du Sujet principal (majoritairement des personnages masculins) et n’ont pas leur propre histoire. Ce sont des faire-valoir et des accessoires pour aider le Sujet à accomplir sa Quête. Ces personnages féminins sont trop rarement des agents actifs de leur propre histoire.

Voici quelques pistes pour créer des personnages féminins réalistes et captivants :

  • Développer leur histoire : Donnez à vos personnages féminins un passé riche et crédible qui explique leurs motivations à se lancer dans l’aventure, leurs peurs et leurs aspirations. Quels événements de leur passé ont façonné leur personnalité ? Comment ces expériences influencent-elles leurs actions dans le présent ?
  • Créer des conflits internes et externes : Confrontez vos personnages féminins à des défis et des dilemmes qui testent leurs limites et mettent en lumière leurs forces et leurs faiblesses. Comment réagissent-elles face à l’adversité ? Quelles sont leurs valeurs fondamentales et comment les défendent-elles ?
  • Éviter la perfection : Ne tombez pas dans le piège de créer des personnages féminins parfaitement impeccables ou irréalistes. Les imperfections et les vulnérabilités les rendent plus humains et plus intéressants. Quels sont leurs défauts ? Comment surmontent-elles leurs échecs et leurs erreurs ?
  • Offrir des arcs narratifs significatifs : Accordez à vos personnages féminins des arcs narratifs significatifs et évolutifs qui leur permettent de grandir et de changer au fil de l’histoire. Quels défis doivent-elles surmonter pour atteindre leurs objectifs ? Comment leur voyage les transforme-t-il en tant qu’individus ?

À lire aussi : Les femmes et la Fantasy

Niveau 4 : Éviter le male gaze

Le male gaze ou regard masculin désigne une représentation du corps de la femme comme étant un objet de désir en faisant abstraction de la femme en tant que sujet, en tant que personnage, et même en tant que personne.

Le male gaze montre le corps féminin comme quelque chose qu’on peut prendre et qui est là juste pour être consommé.

Iris Brey dans une interview donnée à Konbini.

Il a été théorisé par la réalisatrice et critique de cinéma Laura Mulvey en 1975 dans son article Visual Pleasure and Narrative Cinema (Plaisir visuel et cinéma narratif). Bien que ce concept soit à l’origine destiné à caractériser une pratique cinématographique, le male gaze s’applique bel et bien à la littérature également.

Le regard masculin est surtout une perspective du monde vue par le spectre des phantasmes masculins qui objectifie les personnages féminins et réduit leur complexité à une apparence physique et des “qualités” qui les rendent désirables, ou, au contraire, détestables.

J’aimerais préciser que le male ou le female gaze ne dépend pas de la personne qui écrit (ou filme), mais du regard que l’on porte sur le ou les personnages féminins du récit. Une femme peut très bien porter un regard masculin sur son œuvre et un homme un regard féminin.

Le female gaze, quant à lui, n’est pas l’inversion des rôles : on n’objectifie pas le corps de l’homme.

Le female gaze consiste à ne pas réduire le personnage féminin au désir des autres (hommes ou femmes), mais à parler de son désir et de ses aspirations personnelles sans avoir à dépendre d’un homme. On doit pouvoir savoir ce qu’elle ressent et partager son expérience avec elle. Il en va de même pour les personnages masculins.

Quelques exemples pour éviter le male gaze :

  • Ne pas créer de personnages féminins stéréotypés.
  • Décrire ses personnages avec nuances et sans les objectifier.
  • Accorder à ses personnages féminins des arc narratifs qui leur sont propres et des possibilités d’évolution
  • Éviter les tropes sexistes comme le syndrome Trinity, la demoiselle en détresse, la mère protectrice, le syndrome de la Schtroumpfette, le vieille laide et détestable, la femme fatale, etc.
  • Diversifier les corps de ses personnages féminins (ne pas en faire que des beautés ou des laideurs)

Niveau 5 : Le français inclusif

Le français inclusif est un moyen de lutter contre le sexisme en littérature — et même contre le sexisme tout court, d’ailleurs…

Il n’est pas question ici de faire l’apologie du point médian ou du trait d’union, mais plutôt de vous donner 4 astuces très simples pour une écriture plus respectueuse des femmes, et, surtout, qui arrête de les invisibiliser.

1. La féminisation des noms de métier et de fonction

Je pense que je dois commencer cette astuce par un mea culpa

En effet, dans les romans et la nouvelle de ma série Neph et Shéa, Shéa est un maître des Ombres et non une maîtresse des Ombres. J’ai honte…

Lorsque j’ai écrit mon premier jet, dans mon esprit, “maîtresse des Ombres” sonnait beaucoup trop BDSM à mon goût. Mais j’ai évolué depuis et je compte bien corriger toutes les erreurs de la sorte dans une seconde édition.

Si je vous raconte ça, c’est pour vous illustrer que le chemin est progressif et que l’on ne change pas tout du jour au lendemain. On met des actions en place petit à petit, et ce qu’une fois familiarisé-e avec que l’on passe à l’étape suivante.

Donc, pour cette première astuce, prenez la peine de féminiser vos noms de métier : 

  • maître → maîtresse
  • maire → mairesse
  • chevalier → chevaleresse
  • guerrier → guerrière
  • soldat → soldate
  • chef → cheffe
  • mage → mageresse
  • imposteur → imposteresse ou impostrice
  • mentor → mentore ou mentoresse (néologisme)

Et comme nous écrivons de la Fantasy, ne vous privez pas d’inventer vos propres termes.

2. Les épicènes et les collectifs

Les termes épicènes sont des mots dont la forme ne varie pas selon le genre.

Par exemple : collègue, élève, disciple, acolyte, thaumaturge, artiste, magicologue, etc.

Les termes collectifs désignent des ensembles de personnes. Ces termes s’utilisent pour désigner un groupe de personnes au lieu de parler des individus.

Par exemple : les personnes qui écrivent, le lectorat, l’équipe, le comité, etc.

3. Les doublets

Les doublets consistent à écrire côte à côte le féminin et le masculin.

Par exemple : les écrivains et les écrivaines, les maîtres et maîtresses des Ombres, les mages et les mageresses…

4. Les accords de proximité et de majorité

Ces astuces servent surtout à contrer la règle du “masculin l’emporte sur le féminin”.

Ainsi, avec la règle de proximité, l’adjectif s’accorde avec le substantif le plus proche de lui.

Exemples : 

  • Les sceptres et les baguettes sont rangées. OU Les baguettes et les sceptres sont rangés.
  • Les guerriers et les guerrières prêtes au combat. OU Les guerrières et les guerriers sont prêts au combat.

La règle de majorité consiste à accorder l’adjectif en fonction du genre le plus représenté.

Exemples : 

  • Les baguettes et le sceptre sont rangées. OU La baguette et les sceptres sont rangés.
  • Les guerrières et le guerrier prêtes au combat. OU La guerrière et les guerriers prêts au combat.
  • Harry, Hermione et Luna sont des sorcières.

J’ai tenu à vous présenter ces astuces sous forme de niveaux ou d’étapes afin de bien vous rappeler que les changements sont progressifs et que vous n’avez pas besoin de tout implémenter tout de suite. Faites les choses étape par étape et à votre rythme. Vous n’avez pas non plus besoin d’appliquer toutes ces astuces dans l’ordre dans lequel je vous les ai mentionnées.

Dès lors, pensez bien à garder cet article sous le coude pour qu’il puisse vous accompagner dans votre évolution 😉 

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Une réponse à “Comment écrire un roman respectueux des femmes”

  1. J’aime beaucoup cet article, il est concis et pourtant assez complet ! L’accord de proximité et de majorité devraient vraiment être adoptés partout, je trouve, ils sont plus logiques. L’accord de proximité est tellement plus joli ! J’avoue avoir du mal aussi avec « maîtresse » et certains autres mots, comme le féminin de « témoin » ou « vainqueur ». Généralement, j’opte juste pour une autre tournure de phrase ou un autre mot pour éviter une opposition trop forte entre le sujet féminin et l’adjectif ou le nom au masculin. Je devrais faire pareil que vous et me forcer à féminiser, mais il reste une certaine appréhension du jugement des lecteurices, d’une certaine manière. Merci pour cet article, il est très bien écrit et c’est un bon rappel.

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