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C’est avec une touche de mélancolie que je vous retrouve pour le dernier chapitre de notre voyage à travers les ténèbres de novembre. Après avoir croisé des créatures des plus terrifiantes, nous achevons notre chemin en découvrant le draugr, un revenant solitaire et maléfique du folklore nordique. Suivez-moi dans les ombres, là où la rancune et la mort s’entrelacent pour découvrir ce dernier frisson avant de clore notre série.
En suédois, un dicton dit : « Kärt barn har många namn », qui se traduit par « Les choses populaires portent souvent de nombreux noms ». Une expression qui semble parfaitement convenir à notre sujet du jour.
Aussi appelé draugen, draugur, dreygur ou encore draug (et draugar au pluriel), cette créature morte-vivante occupe une place centrale dans la mythologie nordique. On le retrouve fréquemment dans les sagas, les contes populaires et les textes en ancien norrois. Son nom pourrait être apparenté au mot suédois drög, qui désigne une personne « pâle, inefficace et lente d’esprit ». Dans certains récits médiévaux, les draugar sont également appelés haugbúi (« ceux qui habitent les tumulus ») ou aptrganga (« ceux qui reviennent marcher »).
Le draugr se distingue des fantômes éthérés par sa forme corporelle. Ces cadavres réanimés conservent une enveloppe physique qui témoigne des ravages de la mort. Leur apparence, souvent grotesque, se caractérise par des corps gonflés, une peau sombre et une odeur nauséabonde évoquant la décomposition. Ces traits les rendent particulièrement terrifiants, incarnant à la fois la mort et la vengeance.
Les draugar sont principalement connus pour leur rôle de gardiens de tombes, veillant jalousement sur les trésors enterrés avec eux. Ces morts-vivants, animés par une intelligence malveillante, possèdent des capacités surnaturelles qui les rendent redoutables :
Animés par la colère, l’envie ou une soif de vengeance, les draugar s’en prennent aux vivants qui osent troubler leur repos ou s’approcher de leurs sépultures. Bien plus qu’une simple menace physique, ils incarnent des figures d’avertissement dans la mythologie nordique.
Cependant, le draugr ne se limite pas à un rôle de gardien de trésor. Son agressivité peut dépasser les frontières des sépultures, en attaquant parfois les humains par pur plaisir. Le revenant cherche délibérément à les faire souffrir, et peut aller jusqu’à provoquer une suffocation progressive en s’asseyant sur leur poitrine. On raconte même qu’il s’en prendrait au bétail, détruisant ainsi la subsistance des vivants.
Le folklore norvégien distingue plusieurs types de draugr, répartis principalement en deux catégories : les draugar marins et les draugar terrestres. Cette distinction, très marquée dans les récits anciens, se retrouve dans les travaux du romancier Jonas Lie, ainsi que dans les illustrations de l’artiste Theodor Kittelsen. L’image du draugr marin est d’ailleurs toujours bien ancrée dans le nord de la Norvège. En revanche, l’écrivain Arne Garborg dépeint des draugar terrestres, qui émergent des cimetières. Dans le folklore plus récent, les draugar sont souvent associés aux esprits des marins noyés.
L’un des draugar les plus célèbres est Glámr, personnage de La Saga de Grettir. Bien qu’il ne soit pas explicitement désigné comme un draugr mais plutôt comme un troll, il incarne parfaitement cette figure. Glámr, un bûcheron suédois, était chargé de surveiller des moutons réputés hantés. Or, ce dernier enfreint l’une des règles sacrées du Yuletide, notamment en refusant de respecter le jeûne traditionnel en l’honneur des divinités et des esprits la veille de Yule. Ce mépris pour les coutumes sacrées précipite sa mort tragique. Il revient alors sous forme de draugr, semant la terreur parmi les vivants. La saga rapporte que son apparition provoquait des évanouissements et de la folie chez celles et ceux qui le croisaient, jusqu’à ce que le guerrier Grettir le tue dans un combat épique.
Pour comprendre la nature des draugar, il est essentiel d’explorer plusieurs éléments qui expliquent leur résurgence parmi les vivants. L’un des concepts les plus fascinants est celui de l’infection. Un draugr peut transmettre sa malédiction à un autre être vivant, de manière semblable à une contagion. Ainsi, une rencontre avec un draugr infecté peut entraîner la transformation d’un individu, comme si cette créature était capable de propager sa malédiction de façon virale.
Certaines circonstances de mort semblent aussi particulièrement propices à cette transformation. Les décès violents, tels que ceux survenant lors de combats ou de manière prématurée, augmentent la probabilité qu’un individu revienne sous la forme d’un draugr. Les êtres ayant vécu avec des conflits non résolus ou ayant été frappés de malédictions peuvent également être contraints de revenir hanter le monde des vivants.
Le concept d‘aptrgangr, mentionné précédemment, est au cœur de cette mutation. Ce terme ne se limite pas à la simple résurrection, il désigne un individu qui revient à la vie en raison d’affaires non terminées ou de rancunes laissées en suspens. L’aptrgangr incarne l’idée que certaines âmes, incapables de trouver la paix, continuent d’errer, piégées dans un état d’inachèvement. Ce phénomène amplifie l’idée que les mondes des vivants et celui des morts sont profondément liés, et qu’un conflit non résolu peut empêcher une âme de franchir définitivement le seuil de la mort.
Le devenir d’un draugr dépend également de l’état du corps après la mort. Si le cadavre est retrouvé en position verticale ou assise, il est supposé que le défunt pourrait revenir sous cette forme terrifiante. De plus, les individus malveillants, cupides ou marginalisés sont plus susceptibles de se transformer. Ármann Jakobsson, un spécialiste du folklore islandais, souligne que « la plupart des fantômes médiévaux sont des personnes mauvaises ou marginales. Si elles ne sont pas fondamentalement mauvaises, elles sont souvent impopulaires. » Cela explique pourquoi les draugar partagent certaines caractéristiques avec les fantômes. Dans de nombreuses traditions, les fantômes sont associés à des individus dont l’âme, marquée par des malversations ou des affaires inachevées, continue à hanter leur environnement. Tout comme ces entités spectrales, les draugar refusent de suivre le chemin naturel de la mort, préférant errer sur Terre plutôt que de rejoindre l’au-delà.
Ces redoutables morts-vivants du folklore nordique, sont intimement liés aux tertres funéraires, appelés haugar. Ces sépultures renfermaient souvent des trésors appartenant aux défunts, les rendant aussi convoitées que dangereuses. La pratique du haugbrott, littéralement « effraction dans un tertre », consistait à violer ces tombes pour en dérober les richesses. Bien que les raisons de ces actes restent débattues parmi les archéologues et historiens, plusieurs théories ont été avancées, soutenues par des récits de sagas et de légendes. Toutefois, ces sources relatent les faits sans en expliciter les motivations.
Les haugbrott pouvaient survenir peu après l’édification du tumulus, des siècles plus tard, ou à n’importe quel moment entre ces deux extrêmes. Parmi les raisons généralement avancées pour justifier ces effractions, on peut citer :
Le pillage de tombes pour s’approprier des richesses est une pratique universelle et bien documentée à travers l’histoire. Un exemple bien connu est celui des pyramides égyptiennes, souvent pillées peu après la mise en place des dépouilles royales. De même, les tumulus nordiques, visibles dans le paysage et réputés pour abriter des trésors, étaient des cibles privilégiées. Malgré le caractère sacrilège de ces actes, certains, poussés par le désespoir ou l’avidité, n’hésitaient pas à braver les interdits.
La récupération d’objets symboliques ou hérités d’un tumulus avait également une forte dimension culturelle et spirituelle. Au Moyen Âge, s’approprier les possessions d’un défunt pouvait être vu comme un moyen d’hériter de son pouvoir (v. article à propos des reliques et artefacts). Certaines sagas évoquent des armes retirées des tumulus, réputées imprégnées de la force de leurs anciens propriétaires. À l’inverse, ces effractions pouvaient avoir pour but de priver les morts de leur puissance. Les individus enterrés dans des tertres étaient souvent des figures d’autorité, et profaner leur tombe revenait à affaiblir leur influence, même après leur mort.
Dans de nombreuses cultures, une fonction essentielle des rites funéraires est d’empêcher les morts de revenir troubler les vivants. Certaines sépultures en Finlande ou en Pologne montrent des défunts alourdis de pierres ou transpercés de pieux, pratique souvent associée, à tort, aux « tombes de vampires ». Dans le contexte nordique, ce procédé est décrit sous le terme Reimleik.
Un exemple célèbre de haugbrott se trouve une nouvelle fois dans La Saga de Grettir. Le héros, Grettir Ásmundarson, hors-la-loi islandais du XIᵉ siècle, s’aventure dans le tumulus de Kárr inn gamli (« Kárr le Vieux »), père d’un chef de clan du Møre og Romsdal, en Norvège. Kárr, transformé en draugr, veille jalousement sur son trésor. Grettir le défie dans un combat épique, triomphe et s’empare de l’épée légendaire Kárs-nautr (« le don de Kárr »). Cette légende illustre que ces pillages n’étaient pas toujours motivés par la simple cupidité, mais aussi par le désir d’obtenir des reliques chargées de puissance symbolique.
Dans la célèbre Saga d’Eyrbyggja, l’histoire de Thorolf Halt-Foot (Þórólfr bægifótur) offre l’une des représentations les plus frappantes de draugr. Selon le récit, après sa mort, Thorolf devint un draugr d’une puissance terrifiante. Son corps, gigantesque, avait atteint la taille d’un bœuf et était si lourd qu’il ne pouvait être déplacé sans l’usage de leviers. Ce détail souligne non seulement sa transformation monstrueuse, mais aussi la menace qu’il représentait, même dans la mort.
Les conséquences de la présence de Thorolf en tant que draugr étaient dévastatrices pour son environnement. La saga rapporte : « Parmi tous les bovins qui se trouvaient dans la vallée, certains furent retrouvés morts, tandis que d’autres s’enfuirent dans les montagnes et ne furent jamais retrouvés. Quant aux oiseaux qui se posaient sur le tertre de Thorolf, ils tombaient tous morts. » Cette description illustre l’influence maléfique que les draugar pouvaient exercer sur la nature et les êtres vivants qui s’approchaient de leur lieu de repos.
Ce récit met également en lumière l’importance des rituels funéraires appropriés dans la culture nordique. Une mauvaise sépulture ou une mort marquée par la violence ou l’amertume pouvait entraîner le retour du défunt sous forme de draugr, apportant malheurs et désolation. Dans le cas de Thorolf, sa rancune et sa nature violente au cours de sa vie auraient contribué à sa transformation, faisant de lui une menace, même après sa mise en terre.
Dans la mythologie nordique, les récits de draugar ne sont pas de simples divertissements. Ils servent avant tout de mises en garde, soulignant l’importance du respect envers les défunts et la nécessité de réaliser des rites funéraires appropriés pour apaiser les esprits et préserver l’équilibre entre les vivants et les morts.
Vous vous demandez sûrement, comment éliminer une telle créature ? Eh bien, laissez-moi vous dévoiler quelques-unes des techniques que j’ai découvertes au cours de mes recherches. Celles-ci évoquent des méthodes qui rappellent celles utilisées pour combattre un autre mort-vivant déjà abordé sur ce blog : la Stryzga
Pour se débarrasser d’un draugr, la méthode la plus courante consiste à décapiter le corps et à le brûler. Cependant, une étape supplémentaire, souvent mentionnée dans les récits, consiste à jeter les cendres dans la mer. Cette pratique est particulièrement significative dans le folklore nordique, où les draugar sont parfois associés à des origines maritimes, notamment des naufrages. Ces revenants aquatiques, en lien avec l’eau, peuvent être considérés comme des créatures dont le retour à la mer permet de couper le lien avec le monde des vivants.
Pour éviter toute menace, plusieurs mesures préventives ont été proposées. Parmi celles-ci, on trouve l’usage d’aiguilles enfoncées dans les pieds des défunts. Cette méthode permettait de lier leurs gros orteils ensemble, les empêchant de se lever et de marcher une fois morts. Placer de lourds rochers sur la tombe, ou même directement sur le cadavre, est également recommandé pour contrer toute tentative de résurrection. D’autres pratiques, jugées efficaces, incluent l’insertion de tas de paille ou de brindilles dans les vêtements des défunts.
Comme dans de nombreuses cultures préchrétiennes, les rituels funéraires revêtaient une importance capitale. Des enterrements minutieusement préparés étaient considérés comme essentiels pour garantir un passage paisible dans l’au-delà. En outre, les sites funéraires étaient soigneusement choisis, souvent situés dans des lieux stratégiques afin de décourager toute activité des draugar. Parfois, des objets en fer, comme des faux ou des ciseaux, étaient placés dans les tombes, jouant un rôle de barrière physique pour empêcher la réanimation des morts. Des fouilles archéologiques ont également révélé que les armes enterrées avec les Vikings étaient souvent volontairement endommagées, notamment en pliant les lames. Cette action visait non seulement à empêcher le défunt de s’en servir en cas de résurrection, mais également à dissuader d’éventuels pilleurs de profaner les tombes.
Les draugar ont su traverser le temps pour s’imposer dans diverses œuvres contemporaines. Dans le jeu The Elder Scrolls V: Skyrim, ils hantent les cryptes antiques, protégeant jalousement les secrets d’un passé oublié et incarnant des ennemis redoutables pour les aventuriers. Au cinéma, le film d’horreur norvégien Draug (2018) revisite la légende en la mêlant à une enquête inquiétante dans une forêt où les morts ne reposent jamais en paix. Ces réinterprétations montrent l’adaptabilité des draugar, capables d’éveiller fascination et frissons dans des contextes variés, tout en rendant hommage à leurs origines mythiques.
Voici quelques idées pour inclure une ou plusieurs de ces créatures dans vos récits :
Imaginez un draugr dont la malédiction est le résultat d’un pacte brisé avec une divinité. Ancien roi ou guerrier, il avait juré fidélité en échange de pouvoir, mais sa trahison a entraîné une punition divine. Cette version fait du draugr une figure à la fois tragique et menaçante, connectée à des forces divines
Plutôt qu’un draugr individuel, il pourrait apparaitre sous la forme d’une entité collective. Une sorte de « parasite » qui s’incarne dans plusieurs corps morts simultanément. L’idée est qu’un groupe de morts liés par un événement dramatique ou magique (une bataille, une expérience de nécromancie ratée, etc.) sont collectivement corrompus et formés en un draugr constitué de plusieurs âmes et corps. Cette créature pourrait changer de forme selon les ossements qu’elle « réveille », accumulant ainsi les pouvoirs et capacités de chaque âme qu’elle incorpore. L’un des aspects intéressants serait que, bien qu’il soit un draugr, cette entité pourrait aussi avoir un lien psychologique avec les personnages vivants, en cherchant à les manipuler ou à les corrompre.
Dans un royaume où le surnaturel est utilisé à des fins de divertissement, un draugr capturé est contraint de combattre dans une arène. Les héros pourraient découvrir que le draugr est la forme revenante d’un ancien chef rebelle, et son esprit torturé cherche désespérément une libération. Cela pourrait devenir un enjeu politique autant que mystique.
J’espère que ce dernier voyage de la série au cœur de l’univers sombre et mystérieux du draurg vous a captivé ! N’hésitez pas à nous faire des retours sur cette série ou encore nous dire quelle autre créature vous auriez aimé découvrir !