Il y a quelques temps, j’ai reçu un email d’une ado de 16 ans. Elle était en plein dans l’écriture de son premier roman et se posait plein de questions, m’a-t-elle dit.
Parmi ses questions, trois m’ont été envoyées par email :
- Est-ce que je suis trop jeune pour déjà écrire un livre ?
- Est-ce que si je veux le publier, mais que je ne suis pas majeur, est-ce possible ?
- Est-ce que ce que j’écris pourrait intéresser les adultes ?
J’ai trouvé ses questions très intéressantes et très pertinentes et je crois qu’elles peuvent intéresser beaucoup de personnes. Aussi, j’ai décidé de vous partager mes réponses.
Bien entendu, il ne s’agit que de ce que je pense et le débat reste ouvert.
Y a-t-il un âge minimum pour écrire un livre ?
C’est une question ou une réflexion que je croise souvent chez les jeunes écrivain-e-s, comme si la jeunesse rendait les rendait illégitime à écrire.
Je pense qu’il n’y a pas d’âge minimum requis pour raconter des histoires, il en va de même quand il s’agit de les écrire. Je dirais même que plus tôt on s’y met et mieux c’est !
En revanche, quand on se met à écrire jeune, il faut garder à l’esprit que notre style va changer, que notre vision de certains sujets va évoluer, que nos genres de prédilections ne resteront peut-être pas les mêmes et que notre forme préférée de rédaction changera peut-être également (passer de la nouvelle au roman, par exemple). Bien sûr, il y a beaucoup de “peut-être”, tout simplement parce qu’il y a une chance pour que certaines choses ne changent jamais. Par exemple, j’ai toujours écrit dans le registre de l’imaginaire et, au vu de mes prochaines idées, ce n’est pas près de changer !
Quand on se met à écrire jeune et encore plus quand on commence en étant adolescent-e, la fougue de la jeunesse nous fait souvent oublier que notre écriture n’est pas acquise et qu’elle va beaucoup changer avec la pratique (ainsi qu’avec la lecture et la vie, tout simplement). Dès lors, penser à la publication est peut-être un peu rapide à ce stade.
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Peut-on publier en étant mineur ?
En théorie, oui.
Mais il faut savoir que l’autorisation des représentants légaux (parents ou tuteurs) est obligatoire et que les droits d’auteur seront bloqués jusqu’à la majorité de l’écrivain-e.
Je dis en théorie parce que ce n’est pas quelque chose de fréquent, ni de conseillé, d’ailleurs. Publier un-e mineur-e pour un éditeur n’est pas une bonne idée, et ce, pour plusieurs raisons :
- L’écrivain-e ne sera pas disponible pour faire sa promotion (séances de dédicace, interviews, présence sur les réseaux sociaux…) ce qui représente un fort manque à gagner pour l’éditeur. En effet, comment vendre un livre efficacement si l’auteur ou l’autrice n’est pas disponible pour en parler ?
- Tout doit passer par les représentants légaux, voire par des services juridiques pour pouvoir valider certaines demandes qui vont de la simple organisation de séance de dédicaces à l’utilisation de l’image d’un mineur à des fins commerciales. La protection de la jeunesse étant très stricte dans nos régions, cela ne ferait que faire perdre du temps (et de l’argent) à l’éditeur.
- L’instabilité de la jeunesse fait également très peur aux éditeurs. Comme dit plus haut, beaucoup de choses vont changer entre l’adolescence et l’âge adulte, que ce soit les thèmes, le style, le regard sur certaines choses… Cette incertitude ne permet pas à un éditeur de faire des plans sur le long terme avec un-e écrivain-e ado. En outre, dans le cas d’une série, un éditeur n’est déjà pas assuré qu’un adulte finira celle qu’il a commencée, alors un-e adolescent-e qui déborde d’idées et d’envies, c’est encore moins sûr ! On peut également ajouter que la majorité des adolescent-e-s cessent d’écrire une fois dans les études supérieures par manque de temps et ne reprennent pas non plus lorsqu’ils et elles commencent à travailler, se marient, fondent une famille, se découvrent une nouvelle passion, etc. toujours par manque de temps, voire parfois par désintéressement vis-à-vis de l’écriture.
- Lorsqu’un éditeur décide de payer les défraiements à un auteur ou une autrice pour un déplacement en salon, il est rare qu’il veuille également les payer pour le ou les représentants légaux d’un-e mineur-e.
De plus, je déconseille de publier en étant mineur, car il y a également une question d’expérience qui entre en ligne de compte. Ici, il est autant question d’expérience de vie (événements marquants, rencontres, lectures…) que d’expérience d’écriture (pratique de l’écriture, faire face aux critiques…). Le style comme la pensée ont besoin de temps pour se perfectionner pour réussir à traiter certains sujets avec la justesse et la profondeur idoines. Dans certains cas, la jeunesse peut être un atout puisque l’ado va pouvoir traiter certains thèmes avec plus de fraîcheur, voire de candeur, mais ce ne sera pas la majorité.
Au-delà des thèmes et de l’expérience, il y a également la question du style. Il est rare d’avoir un style réellement abouti à 16 ans — ne pas confondre pas abouti avec inintéressant. En général, c’est à cet âge-là qu’on commence seulement à prendre conscience de ce qu’est le style et qu’on commence à le travailler. Ce qui a pour conséquence le risque d’avoir un style très inégal dans la production littéraire et même au sein d’un même livre.
En outre, un autre facteur est à prendre en compte, celui du temps. Être édité-e demande du temps. Il faut du temps pour sélectionner les éditeurs à contacter, il faut du temps pour envoyer les manuscrits, il faut du temps pour recevoir une réponse (positive ou négative — d’ailleurs l’accumulation de refus peut très bien être décourageante au point de dégoûter quelqu’un d’écrire, c’est aussi quelque chose à prendre en compte : a-t-on les nerfs assez solides à 15 ou 16 ans pour supporter un tel nombre de rejets ?). Et si, un jour, une réponse positive atterrit dans votre boîte aux lettres, il faut du temps pour savoir si on accepte la proposition ou pas, il faut du temps pour vérifier chaque point du contrat pour ne pas se faire avoir (entre le compte d’auteur et les éditeurs peu scrupuleux qui profitent du manque d’expérience des parents et de leur enfant pour faire passer des clauses abusives, les arnaques sont nombreuses), il faut du temps pour revoir et corriger son manuscrit avec l’éditeur. Et une fois que le roman est publié, il faut consacrer du temps à la promotion, il faut être présent en salon et aux dédicaces, il faut être présent pour les interviews, etc. Tout ce temps, c’est du temps qu’on ne passera pas à écrire le prochain livre, du temps qu’on ne passera pas avec ses amis, du temps qu’on ne passera pas à travailler pour les cours. C’est aussi du temps qui sera pris sur celui des représentants légaux, puisque c’est à eux de tout superviser.
Ajoutons à cela, l’argent que coûtent tous les déplacements en salon : il faut payer l’hôtel, les repas, les trajets, etc. Tous les éditeurs et tous les salons ne défraient pas leurs auteurs et autrices, le plus souvent, c’est aux artistes de payer leurs déplacements. Et si les éditeurs sont prêts à payer les déplacements, les repas et l’hôtel à leurs auteurs et autrices, ils ne le sont que rarement pour tout payer à leurs représentants légaux.
N’oublions pas non plus que dès la majorité les droits d’auteur seront débloqués. Ce qui signifie qu’il devra y avoir déclaration d’impôts, peut-être paiement d’impôts, mais surtout cotisation à l’Agessa et à la Maison des auteurs. Ce qui signifie paperasse et comptabilité supplémentaire. Et, bien entendu, le statut d’artiste-auteur qui ne fait que compliquer les relations avec la sécurité sociale — en tout cas encore à l’heure où j’écris ces lignes.
Tout ça, ce sont des facteurs à prendre en compte lorsque l’on souhaite faire publier un roman. La publication, qu’elle soit à compte d’éditeur ou en autoédition, n’est pas un acte anodin de production-rétribution. Publier un livre, c’est entrer dans un système aux engrenages multiples et complexes et je pense qu’il est important de connaître tous les tenants et les aboutissants de la publication avant de se lancer dans l’aventure. Et ce, quel que soit son âge, d’ailleurs.
Avant toute chose, je pense qu’il est important de se demander pourquoi on veut publier à 16 ans. Si c’est pour l’argent, c’est mal parti : le monde du livre est en train de se noyer dans son fonctionnement archaïque et la fortune ne sourit même plus aux audacieux dans ce milieu-là. Juste pour être lu-e ? Il existe des plateformes comme Wattpad ou des forums qui vous permettront de créer de réelles interactions entre vous et vos lecteurs, mais aussi de pouvoir évoluer au milieu d’autres écrivain-e-s qui ne seront pas avares de conseils pour vous que vous puissiez vous améliorer.
Les écrits adolescents peuvent-ils intéresser les adultes ?
J’ai posé la question sur Twitter pour avoir d’autres avis que le mien et la question semble avoir été comprise de différentes manières. Voici la manière dont je l’ai comprise au vu des questions précédentes : “Est-ce que les récits écrits par des adolescent-e-s sont susceptibles d’intéresser les adultes au point de les voir publiés et achetés ?”
C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre, car la réponse dépend beaucoup des écrivain-e-s ainsi que des lecteurs et lectrices.
Mais, honnêtement, il y a peu de chances, en tout cas dans le cadre d’une publication payante. Il est rare d’avoir, à 16 ans, une écriture suffisamment mûre : le style est rarement abouti — bien que souvent prometteur —, plutôt inégal, il subsiste des incohérences dans les récits, les histoires sont bien souvent déjà vues et les personnages sont rarement des archétypes auxquels peuvent s’identifier les adultes. Pour toutes ces raisons, il est rare que les écrits adolescents intéressent des personnes qui ont déjà, pour la plupart, une certaine expérience de lecture et qui ont certaines exigences.
Cependant, gardons à l’esprit que certains adultes s’intéressent aux romans écrits par des ados parce qu’ils cherchent les talents de demain. Il existe également certaines personnes qui aiment la fraîcheur et la spontanéité qui caractérisent les écrits adolescents comme on n’est pas à l’abri de l’émergence d’un prodige. Mais ces deux derniers cas de figure restent rares.
Toutefois, ça ne doit pas décourager les jeunes d’écrire ! Le talent n’a pas d’âge et le travail ne peut que le bonifier !
J’aimerais conclure avec cette citation de Nicolas Boileau qui décrit avec justesse ce qu’est l’écriture et la vie d’écrivain :
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Prenez soin de vous.
2 réponses à “Y a-t-il un âge pour devenir auteur ou autrice ?”
Merci beaucoup pour ces précieuses informations !
Je suis très contente d’avoir trouvé cet article. Cela m’a beaucoup aidé ! Même si je pense toujours tenté ma chance à essayer de trouver un éditeur mais je pense déjà terminé le roman que je suis entrain d’écrire avant de tenter ;3 Et je le ferai lire à ma mère pour qu’elle me donne son avis étant donné qu’elle lit beaucoup de livres !
Merci pour cet article !